mercredi 25 septembre 2013

Le malaise référendaire ou la nécessité de revoir nos façons de réglementer l'occupation du sol

Texte d'opinion que j'ai publié dans Le Soleil le 10 septembre 2013

À Québec, l'actualité regorge de nouvelles, d'articles et de reportages dans les médias portant sur des projets immobiliers contestés par des citoyens, des groupes d'intérêt et parfois mêmes des élus. Qu'il soit question de projets en banlieue (Roch-Pointe, Nodelo, Léo-T. Julien, Maria-Goretti, Golf Val-Bélair, etc.) ou de projets dans des quartiers centraux (Îlot Iriving, Terrain Esso, Cité Verte, etc.), le phénomène «pas dans ma cour» prend des proportions inégalées depuis quelques mois pour des motifs, disons, à géométrie variable.

Au-delà de la légitimité de ces contestations et de la qualité des arguments évoqués par les partis en cause, un regard plus approfondi sur les sources du malaise référendaire s'avère opportun.

Les pratiques traditionnelles de zonage avec lesquelles les urbanistes travaillent encore aujourd'hui trouvent leur source dans les bouleversements économiques que notre société occidentale a connu entre les années 1920 et 1980 comme l'industrialisation, l'arrivée de l'automobile, les programmes de logements d'après-guerre, l'essor de la classe moyenne et la facilité d'accès à la propriété.

Séparer les usages et les fonctions par zone afin de limiter les (supposées) nuisances, quantifier le contrôle des densités, des gabarits et des hauteurs, figer les normes d'implantation sont autant de façons de faire qui sont encore en vigueur en urbanisme. Le zonage est une forme réglementaire normative abstraite plutôt que qualitative. Pour pallier cette abstraction normative, les urbanistes peuvent recourir à des règlements discrétionnaires reposant sur des objectifs et des critères d'évaluation plutôt que des normes complexes et rigides.

Le recours à ces règlements discrétionnaires aux dénominations presque aussi abstraites (dérogations mineures, usages conditionnels, PIIA, PAE, PPCMOI, etc.) comporte néanmoins des écueils : une grande subjectivité des personnes impliquées dans le processus d'analyse et de décision et la multiplication des exceptions au cadre réglementaire normatif en vigueur.

Face à l'abstraction normative du zonage ou sinon l'approbation discrétionnaire de projets, les citoyens sont souvent confondus et manifestent leur mécontentement en demandant la tenue de référendums pour l'approbation de projets dérogatoires.

Si le recours à la démocratie directe en urbanisme s'accentue depuis quelques années, cela s'explique par un ensemble de facteurs.
  •  La multiplication des projets dérogatoires en raison du manque de souplesse de la réglementation normative d'urbanisme. En d'autres mots, la quasi-impossibilité pour un promoteur de réaliser un projet totalement conforme à la réglementation d'urbanisme en vigueur;
  • La complexité et la multiplicité des enjeux et des acteurs du développement urbain dans les grandes villes;
  • Les mécanismes de consultation tardifs qui ont pour effet de placer les citoyens devant un fait accompli alors qu'ils ont l'impression que le projet soumis a déjà reçu la sanction municipale. Les citoyens s'organisent alors en opposition à la décision des représentants municipaux et au projet dans son ensemble plutôt que de focaliser sur les éléments dérogatoires du projet soumis.
Dès lors, le recours possible aux référendums exacerbe le phénomène «pas dans ma cours», oppose davantage les divers protagonistes du développement urbain et, en bout de ligne, empêche l'établissement d'une saine culture du développement urbain.

C'est donc un grand pan de la pratique traditionnelle de l'urbanisme qu'il nous faut revoir en profondeur.

Cette révision doit d'abord reposer sur la révision de nos règlements d'urbanisme normatifs traditionnels. Aux États-Unis, le form-based planning est en pleine effervescence. Plusieurs villes adhèrent à ce changement de paradigmes réglementaires. Le form-based code est une approche réglementaire qui focalise sur la forme du développement souhaité selon des critères établis pour différents types de secteurs. À la base, c'est une approche qui ramène à une démarche de planification stratégique visant à établir une vision claire de développement et s'entendre communément sur des principes qui guideront précisément la forme du développement à préconiser

Il ne faut pas se tromper. La mobilisation citoyenne que l'on observe aujourd'hui dans nos villes est prometteuse et marque une volonté de s'impliquer dans le devenir de sa ville. En ce sens, cette volonté doit être recentrée dans une démarche constructive qui sert à jeter les bases d'une plateforme consensuelle de principes de design, d'architecture et d'aménagement des espaces privés et du domaine public.

Par la suite, les mécanismes de consultation doivent préconiser une démarche en amont de l'approbation formelle des projets permettant d'établir un dialogue direct entre le promoteur et les citoyens concernés.

Finalement, si l'on doit se rendre jusqu'à cette malheureuse et ultime étape, les procédures référendaires doivent être complètement revues de façon à s'assurer que la démocratie directe est vraiment mobilisatrice et ne s'exerce pas uniquement au nom d'opposants.

Une chose est certaine : la pratique actuelle du zonage traditionnel et le cadre législatif qui le régit traduisent assez mal les nouveaux impératifs de l'aménagement urbain durable (smarth growth). On observe aujourd'hui des résultats inquiétants. Les citoyens deviennent cyniques et méfiants envers la politique municipale. Plusieurs élus municipaux sont aigris. Les promoteurs hésitent à soumettre des projets novateurs. Est-ce vraiment là un climat favorable pour assurer un bon développement urbain?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire